Le nouveau jour

Sentant qu'il voyait en elle quelque chose qu'elle ne voulait pas, elle le regarda avec un peu d'effroi; ouvrant grand les yeux, la bouche plissée en une petite ligne mince, Namiko se demandait bien ce qu'il avait pu faire.

"Qu... Quoi? Qu'est-ce que j'ai? Qu'est-ce que t'as? À me regarder comme ça!"

Confuse, elle ne savait que penser et s'éloigna un peu; la proximité n'était pas un très bon facteur, en présence d'un jeune homme. Elle soufflait un peu plus difficilement puisqu'elle était anxieuse et commençait à perdre sa respiration normale... Elle essaya de se calmer, mais en vain; la présence de Chaos la perturbait énormément, surtout s'il avait deviné ce qu'elle pensait de lui! Donc se calmer était presqu'impossible...

Après la réaction complètement neutre de Chaos, Namiko paniqua encore plus. N'ayant pas aucune idée de ce qu'il pensait ou pourquoi il lui demandait cela, la petite elfe ne savait que faire de ses réactions. Elle plaqua ses mains devant sa bouche pour arrêter le son strident que faisait sa respiration... En vain. Elle s'éloigna encore un peu, faiblement, et s'adossa de l'autre côté de l'arbre pour ne plus voir Chaos et reprit finalement ses esprits peu à peu.

"Pourquoi... Est-ce que tu... M'as souris comme ça? Pourquoi? Est-ce que... Je t'exaspère?"

Bien évidemment qu'Aedrick l'avait aidé dans ses complexes hier, mais elle avait tout de même garder cette mélancolie à l'intérieur d'elle. L'elfe essaya d'attirer ses jambes contre elle, mais en fut incapable, faute de forces. Encore une fois, elle se sentait si lamentable... Si faible et impuissante...

Namiko le regarda, incrédule, se demandant comment il pouvait croire qu'elle ne s'aimait pas et qu'elle n'avait pas confiance en elle. En effet, elle était hors d'elle, mais au lieu de se frustrer et crier sa colère, son souffle fût coupé et, impuissante, elle se laissa choir au sol, inerte...

Namiko se reprit quand même assez vite, ses poumons en feu, et prit une grande inspiration. Elle avait, elle aussi, quelques larmes qui coulaient le long de ses joues. L'elfe mit un moment à regarder Chaos puis remarqua finalement le sang à ses lèvres.

"Sa t'amuses de me voir comme ça, c'est ça? Comme hier? Eh bien, moi j'pas cruelle comme ça; pourquoi tu saignes?"

La jeune elfe renifla bruyamment, ses voies nasales bloquées par sa maladie quelconque; celle de sa morsure qui la gardait éternellement malade, au lit; seule...

Namiko le regarda d'un air incrédule; elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour s'améliorer et ce n'était pas de l'effort qui manquait! L'elfe en fut autant blessée qu'indignée et détourna le regard, regardant à l'horizon plutôt que de regarder Chaos. Les larmes continuaient à couler le long de ses joues, un peu salies par la poussière au sol.

"T'es malade ou t'es tout simplement trop triste?"

Namiko n'était pas certaine où l'elfe de brume voulait en venir et elle ne savait que trop penser de ce qu'il se passait. Si elle le pouvait, elle ne ferait que partir, loin de lui; courir. Courir, essayer d'apprendre à vivre; apprendre à être heureuse...

Étant une personne avec un grand cœur, Namiko ne put que se demander ce que Chaos avait. Elle retourna lentement sa tête vers lui, mais ses yeux le fuyaient; elle n'avait pas encore pardonné ce qu'il avait dit sur ses efforts.

"Toi aussi, t'es malade alors... De quoi est-ce qu'il s'agit?"

Prenant un ton assez décontracté, Namiko ne paraissait pas inquiète du tout de la santé de l'elfe de brume qui l'accompagnait. Si elle pouvait tout simplement se lever et marcher, courir, respirer normalement... C'était tout ce qu'elle demandait, quand même pas énorme!

Namiko fût, en effet, bouche bée de voir qu'il y avait quelqu'un de peut-être plus misérable qu'elle dans la vie! Quoiqu'elle n'était pas très à l'aise avec son air de gamine, qu'elle garderait même si elle atteignait les sept cents ans! Ne sachant pas que dire, elle ferma lentement la bouche et pencha son visage gêné par la proximité de l'elfe devant elle -qu'elle ne reconnaissait pas du tout-.

"Désolée de l'apprendre..."

La déclaration de Chaos remit donc tout l'existence de la petite elfe en question. Comment faisait-il pour vivre avec un tel fardeau? Elle qui avait de la misère à tout simplement s'endurer, endurer toutes ses faiblesse, quand lui, il était capable de vivre normalement -ou presque-, entouré de gens en pleine santé! Les larmes lui montèrent aux yeux, ce qu'elle essaya de cacher en baissant encore plus la tête. Les remords prenaient le dessus parce qu'elle se plaignait le ventre plein, se disait-elle.

Namiko le regarda, maussade, lorsqu'il lui posa la question, comme s'il n'avait pas pu dire quelque chose de plus ridicule ou plus insultant à ce moment là! Elle se désigna faiblement le corps de ses mains en lui lançant un regard triste et fâché.

"J'ai l'air d'être en état de m'entraîner? J'ai de la misère à marcher et, même ça, ça m'épuise... J'me vois mal m'entraîner!"

C'était bien la dernière chose au monde qu'elle voulait entendre, elle qui voulait tant guérir pour devenir plus forte! Pourtant, dans l'état actuel qu'elle était, l'elfe ne pouvait pas faire grand choses que se reposer...

"Si tu veux t'entraîner, vas-y, j'te retiens pas... Je peux pas rien faire; j'suis forcée au repos.

Namiko le regarda et son regard voulait clairement dire: "Tu comprends donc rien à rien?". Elle ne prit pas l'arc et se croisa les bras, détournant aussi le regard. Elle ne voulait pas voir à quel point elle était faible une deuxième fois dans sa journée et préférais de loin restée étendue auprès de l'arbre!

"Tu crois que je vais me faire un bien fou en tirant sur une corde? Je ne pourrai même pas garder une flèche enfilée sur l'arc improvisé et, de plus, ça va mal, assise!"

Elle essaya de cacher sa tristesse avec un peu de réussite, mais il était évident qu'elle n'aimait pas sa situation... Même si elle se sentait encore un peu coupable de se sentir ainsi lorsque Chaos, lui, pouvait mourir d'un moment à l'autre!

Namiko soupira et se laissa tomber contre le sol pour se coucher dans le tas de feuilles au pied de l'arbre. Elle ne voulait pas répondre à Chaos parce qu'ils n'avaient pas les mêmes problèmes et elle voulait être seule. Elle remarqua que personne qui ne vivait pas la maladie, la faiblesse qu'elle avait, ne pourrait pas comprendre à quel point elle ne pouvait rien faire. Rien. Sauf rester étendue à attendre de reprendre des forces, accepter des soins parce que, de toute façon, personne ne pouvait vraiment faire quelque chose à l'école. Personne en avait le pouvoir puisque le Hall des prêtres n'avait aucun professeur. Elle devrait se rétablir comme elle le faisait dans les bois, au moins elle n'aurait pas à ramper pour se nourrir...

Namiko sentit Chaos s'écraser au sol, mais ne bougea pas. Elle croyait tout simplement qu'il s'était laissé tomber au sol parce qu'il était fatigué de son caractère à elle. Cela lui prit une bonne minute, minimum, pour qu'elle se retourne en marmonnant son nom. Elle le vit, encore plus blême, tremblant et en sueur.

"Mais... Ch... Chaos? Qu'est-ce qui se passe? Chaos, réveilles-toi!"

Elle le secoua un peu pour qu'il se réveille, en vain. Elle commença à le secouer un peu plus fort à mesure que la panique s'emparait d'elle. Son visage était très inquiet; ils étaient seuls dans les bois, quand même assez enfoncés, sans personne aux alentours... Namiko pensait que la maladie s'emparait du corps de Chaos et le ruinait!

Namiko se releva avec peine, soulagée à moitié de le voir conscient. Elle remarqua sans effort les yeux rouges de Chaos et lui tendit une main, l'autre bien ancrée dans le tronc de l'arbre pour la supporter. Elle releva ses béquilles d'un pied maladroit pour la supporter quand elle aurait à marcher.

"On doit se rendre à l'école, t'es tout rouge et tu pleurs du sang, encore! Viens, on va s'entraider à se rendre, d'accord?"

Sachant que le sujet de la personne dont Chaos avait fait part était peut-être sensible, elle n'en dit un mot et continua de tendre sa main tremblante, inquiète pour le jeune elfe de brume devant elle.

Namiko, complètement vidée de ses forces n'eût même pas à se le faire demander une deuxième fois; ses genoux cédèrent sous elle, la faisant chuter contre le sol où les feuilles s'empilaient les unes par dessus les autres. Elle resta là, haletante, en sueur, les yeux fermés. Étendue sur le ventre de tout son long, ses béquilles à ses côtés, elle n'en pouvait vraiment plus!